Nietzsche n’a jamais renoncé à la poésie.
Certains diront même qu’elle était en avance sur sa philosophie. Il a cherché une nouvelle langue pour exprimer ce qu’il avait à dire en tant que poète-prophète.
Zarathoustra est un essai pour le dire ; il est une réforme du style de communication de sa pensée théorique. Son écriture n’est plus systématique, argumentative. « Ce n’est qu’au regard de la poésie, disait-il, que l’on écrit de la bonne prose » (Gai savoir, § 92). Nietzsche puise sa source et son inspiration dans une veine poétique qui transparaît même dans ses écrits aphoristiques. Il se préoccupe de la chute, de la syncope, des allitérations, des assonances, il construit certaines suites d’aphorismes comme une fugue, avec le souci d’un contrepoint. Le musicien, le poète et le philosophe se retrouvent tout entiers dans ses écrits. En effet, à se méprendre sur le rythme d’une phrase, on peut se méprendre sur son sens.
L’expression littéraire permet de pallier le décalage qui se crée entre les sentiments et la définition des mots. En employant tous les moyens dont la langue dispose, à savoir les sons, les rythmes, les images, la syntaxe, les ekphrasis et bien d’autres outils, elle fait parfois résonner la phrase dans le corps, avant que dans l’intellect. Elle est la recherche d’un seul et même fil à travers mille grammaires différentes. Du lexique commun et jusqu’à la poésie la plus intime, nous nous éloignons progressivement de la narration, pour entrer dans le corps de la langue, et multiplier les expériences d’être au monde.
Comme les voix de personnages d’un même roman, nous souhaitons faire se rencontrer des auteurs de diverses contrées, de diverses époques. À la manière d’un puzzle, cette revue propose un voyage à travers des âmes vieilles et des âmes jeunes, qui n’en finissent plus de mourir et de renaître.
Ici les langues sont frottées de toutes les langues, des langues sauvées, des langues perdues, des langues étrangères, bégayantes ou empêchées.
Tantôt aidé, tantôt dérouté par les voix et les thèmes qui s’y déploient, le lecteur se laissera bercer dans l’incertitude, parfois féconde, de diverses interprétations.